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L’art qui dialogue avec l’environnement

Claude Lévêque est le premier artiste invité au Centre régional d'art contemporain de Sète pour investir tous ses espaces. L'artiste y a développé un parcours prenant la mer comme thématique et propose à ses visiteurs le développement de fictions imaginaires, dans le temps et/ou l'espace, ou un rappel de souvenirs personnels ou collectifs, cela en usant d'une apparente grande simplicité de dispositifs.


Le métal, dont la fluidité et les reflets peuvent s'apparenter aux propriétés de l'eau, se rencontre presque partout dans l'exposition : depuis la première salle envahie de filets de pêche suspendus depuis le plafond et ponctués de quelques objets qui suffisent à modifier sans cesse l'apparence de la pièce grâce aux miroitements d'une boule à facettes ; dans le cercle de métal en rotation garni de flèches de la Couronne d'épines ; dans la matière de Licorne et de la Carabine réalisées en inox polymiroir, et surtout dans le "Seppuku", immense lame en hauteur transperçant apparemment le mur de séparation d'une pièce en coursive.


Partout aussi, éclairant et animant les installations, la lumière apparaît et disparaît, faisant alterner des formes et leur dématérialisation. Lumière électrique, blanche ou bleue, nimbant l'immense bateau de résine construit à la manière d'un origami des plus simples et pivotant lentement dans la plus grande salle, ou répétant sur les murs la copie ou la déformation de la licorne et de la carabine, irradiant crûment le dessous de l'escalier menant à l'étage, ou s'échappant dans un éclair derrière les armoires plantées dans une quasi obscurité. La lumière du jour n'apparaît que de manière fort ténue dans le dernier espace de l'exposition, comprimée à la volonté de l'artiste par de lourds volets presque fermés.


Claude Lévêque a construit un puzzle en trois et même quatre (la temporalité, le temps) ou cinq dimensions (en y incluant des ondes sonores et des éléments musicaux qui se succèdent de salle en salle). Chacun peut le reconstituer à son gré, selon les sensations et émotions ressenties lors de son parcours dans l'exposition.

 
Mais la musique obsédante du film
Mort à Venise qui enveloppe le visiteur à l'entrée et à la sortie de l'exposition le fait indubitablement basculer "du côté obscur de la force" et sortir du centre d'art dans la lumière du sud en état de tangage, de roulis.

Claude Lévêque, Filets de pêche, The Diamond Sea, CRAC Languedoc-Roussillon, Sète 2010

Extraits du livret d'exposition (texte de Timothée Chaillou)


"How does your mirror grow
you better watch yourself when you jump into it
'cause the mirror's gonna steal your soul
"
Sonic Youth,
The Diamond Sea


Tout d'abord, souvenons-nous de l'eau de la mer et des canaux qui, jours et nuits, agitée ou calme, diffracte la lumière dans infinité de reflets. Ces étendues irrégulières, houleuses, sont telles les faces d'un diamant. Une eau trouble, pourtant cristalline et chatoyante. Un miroir instable aux éclats lumineux. Point de départ, le titre de l'exposition évoque la mer comme surface scintillante, un infini en perpétuel mouvement. Débute ici un monde chimérique, "une représentation de la mer avec ce qu'elle peut avoir d'imaginaire, de dramatique, d'onirique." Le développement de chaque salle est comme l'étape d'une aventure dans l'univers des mythes et légendes marines ; le chapitre d'un récit habité de rêves.


Claude Lévêque fabrique des installations, des dispositifs liés aux caractéristiques essentielles de l'espace : son histoire, sa fonction, sa matérialité. Il est "attentif à la relation des lieux avec l'extérieur, à la façon dont les gens se déplacent dans l'espace", pour ne pas se situer dans une attitude contemplative : ses "installations ne sont pas faites pour être regardées, mais vécues", le visiteur devenant l'acteur de la scène proposée.


Il souhaite agir sur nos perceptions pour voir comment nos pensées, nos corps réagissent face à des pièges à sensations. Il crée des mises en situation sensorielle, impliquant nos affects et nos sens, s'amuse "à provoquer des réactions qui, inattendues, nous marquent. Ces actions permettent d'exciter l'imaginaire, de voir le monde autrement." Par l'impact de ces déstabilisations, il réintroduit une évidente puissance de la magie et du sensible, qu'il combine à la répulsion : "Ce que j'aime, c'est jouer avec des éléments de spectacle qui attirent et au bout desquels il y aurait quelque chose de l'ordre de la menace."


Le visiteur parcourt un espace aux effets spéciaux standards et bricolés, avec peu d'éléments et un vocabulaire formel très économe, saturés de lumière qui nous immerge, nous irradie. Il travaille sur le motif et la séduction de la féerie, pour "mixer des situations hybrides entre l'art minimal et l'esthétique de la fête foraine." Ces éléments féeriques sont directement préhensibles, saisissables - licorne, bateau, carabine... -, des formes primaires qui nous permettent d'aller à l'essence de ces images.



  Claude Lévêque, The Diamond Sea
  CRAC Languedoc-Roussillon, Sète
  03.07 - 03.10.2010

© ArtCatalyse / Marika Prévosto 2012. Tous droits réservés

C'est à partir de ces lieux communs que Claude Lévêque va renverser notre appréhension première et métamorphoser des situations/images identifiables. En utilisant des archétypes il joue avec l'ambiguïté de la facilité de reconnaissance, travaille notre mémoire collective pour venir éveiller chez nous le primaire, le pulsionnel ou la révolte et ces "passions que l'on croyait disparues".


Photographies © Marika Prévosto et Philippe Chevalier


Exposition du 3 juillet au 3 octobre 2010. Centre régional d'art contemporain Languedoc-Roussillon, 26 quai Aspirant Herber - 34200 Sète. Tél.: +33 (0)4 67 74 94 37. Ouverture tous les jours de 12h30 à 19h sauf le mardi, samedi et dimanche de 15h à 20h. Entrée libre.

Claude Lévêque, The Diamond Sea, CRAC Languedoc-Roussillon, Sète