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L’art qui dialogue avec l’environnement

Erwan Le Bourdonnec, Le texte de Jean-Claude Thévenin   

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Erwan Le Bourdonnec, U-TOPOS ou les topographies célestes

Le texte de jean-Claude Thévenin
Parcelles Célestes et projections stellaires

Dispositif scénique d’une carte mentale à la chapelle Saint Julien de Petit Quevilly. Erwan Le Bourdonnec, Septembre 2011.

                                                                                              

 « …il existe un autre monde formant le huitième climat… pourvu de figures et de dimensions, s’étendant lui aussi dans un espace, sans qu’il s’agisse cependant de figure, de dimension et d’étendue identiques à celles que nous percevons dans le monde des corps physiques, bien que tout ce qui existe dans ce monde sensible y ait son analogue ; il s’agit non pas de dimensions sensibles, mais de dimensions exemplaires imaginales… » (1)


Depuis ce sol recouvert par un sable blanc très fin nous sommes visuellement projetés, par abstraction sensible. Nous passons de l’univers physique appréhendé à partir d’un sol-surface composé d’infinis petits grains de sable, à un autre possible du même univers. Être de la matière, magie de la sensation subtile, une apesanteur et a-dimensionnalité de celle-ci, l'infinitude alors est peut-être fréquentable... « On foule le sable aux rivages, ces espaces où le corps est si léger, propice au départ de la pensée. Il est le sol qui sous nos pas se dérobe, entre solide et liquide, face à l’horizon, infini familier. » nous dit Erwan Le Bourdonnec en guise d’invitation à l’entrée de la Chapelle.


Cette installation d'architecte-plasticien, de dimension hiératique et sensible, engage des propositions artistiques fortes d'une grande tradition et modernité à la fois. Dans ses arrières plans, ce dispositif questionne et entrelace Philosophie, Religion, Mythologie, Astronomie, Sciences de l'optique, Géométrie, Mathématiques bref, des Universaux de notre culture humaniste.  C’est à un triple univers que s’ouvre ce dispositif : un univers intelligible, un univers sensible, et entre les deux un inter-monde : un mundus imaginalis.(2)  Cet inter-monde impossible à figurer en termes géométriques ou conceptuels.


Cette scénographie particulièrement étudiée pour cette chapelle royale fait chavirer nos relations logiques à la surface et au volume tangibles. Les perceptions du haut et du bas, du devant et de l’arrière, de la droite et de la gauche, qui sont les déterminants de nos sensations qualitatives à l’espace dans un sens Kantien, ne sont plus que des relations par défaut.


D’entrée de jeu, ce vertige de l’autre côté du miroir déstabilise nos classiques sensations et nos échelles de mesure tant qualitatives que quantitatives pour une autre aventure de la sensation imaginale avec de nouveaux modes de perception. Une palpation autre se ressent dans nos repères, face à un grand miroir suspendu à 45°. Il s’inscrit dans la diagonale du carré de l’élévation de la première partie de la chapelle.

 

La réception du sol comme une verticale à 90° et plus encore comme ouverture sur une dimension du céleste devient tangible.  Cette animation spéculative et spéculaire d'une surface horizontale à celle d'une verticale et par extension de ce mouvement à un espace ouvert à l'infini nous projette dans la dynamique de l’existence d'autres réalités.


Une dynamique de questionnements entame nos repères fondamentaux. Par touches impressionnistes, ombre, lumière, matière, poussière, se croisent. Eclats de métallisations, éclats de grains de sable, matité présente de la pierre des murs se font écho. Au fur et à mesure de la marche, ils suggèrent un mode de perception de l’espace en mouvement.


Henry Corbin suggère que « essentiellement ce mode de perception suppose une faculté de connaissance qui n’est pas limitée au seul exercice de l’abstraction conceptuelle, ni aux perceptions des données physiques par les sens. ».  Il rajoutera qu’il faut « que la terre soit perçue… par une Image primordiale... ».


Ces univers intermédiaires de « Formes imaginales » dans le sens de Corbin, c'est ce que nous demande d’éprouver Erwan Le Bourdonnec dès notre entrée en ce lieu de tradition spirituelle. C’est de ressentir ces espaces comme autant de présences fortes à soi-même, autant « de présences personnelles ». C'est à une véritable question ontologique que nous conduit ce travail  .

Le deuxième exercice de cette mise en scène et de ce ressenti de la « terre céleste », de cette nouvelle géographie, se tient perpendiculairement au sol sur une petite surélévation qui fait office d’autel, une carte céleste « maps of the heavens ». Dans cette deuxième partie de la chapelle deux voûtes ferment le haut de l’édifice intérieur, métaphore de la voûte céleste et de la sphère. La dimension des cieux - par extension cette cartographie des constellations - achève le parfait alignement avec l’entrée. Sa finalisation, non comme point de fuite dans le chœur, mais comme image de la sphère céleste projetée sur une surface, propose encore des jeux d’inversion d’échelles : échelles de valeurs géométriques et métaphysiques.


De l’infiniment petit du grain de sable aux infinitudes de l’incommensurable de l'univers des constellations, se joue ici une partition presque musicale de l'harmonie. La « Sophia » et les liens organiques des choses et des êtres du monde respirent dans une autre mesure.


L’infini se décline dans notre esprit, tangible dans l’étendue de sable, dématérialisé dans ses reflets et sa dispersion, infigurable dans l’image (projection sur un plan de faible dimension, une Tavola) de la démesure céleste...


Un impalpable de l’incommensurable se sensibilise et s’incarne dans cet espace sobre où se trouve la vibration du cœur de notre univers mental et corporel.  Ce mouvement sans cesse recommencé pourrait nous conduire au vertige et au chaos, mais il esquisse sur un même vibrato, l’appréhension du merveilleux équilibre du mouvement perpétuel des planètes et des agencements ordonnés de toutes les constellations qui peuplent l’Univers, en correspondance avec ceux de nos facultés « imaginales ».


Enfin, ce dispositif scénique soumet à notre contemplation curieuse un petit inventaire de pieds d’instruments, permettant à des appareils tous les arts de la mesure, du géomètre et de l'arpenteur.


Ces trépieds ne portent pourtant pas ces instruments de la « saisie » d’images (par les techniques de l'optique comme celui du portillon de Dürer, de la télémétrie, de la triangulation topographique, ceux de la photographie…). Ils sont soit coiffés, soit complétés entre leurs pieds ou à leurs bases, d'étranges objets.


Ces petites fabriques ou maquettes appartiennent par succession d'associations à ceux de l'optique, ou de la mesure : mécanismes de mouvement comme celui du pendule de Foucaud, ceux des figures abstraites du calcul de toutes les mesures du temps, du vent et de la pression d’air, … Cette collection d'instruments ayant peu ou prou affaire avec de la mesure, se transforme en des sculptures ne représentant pas seulement le mouvement mais qui sont elles-mêmes mouvement. Ces objets ne semblent pas –pas encore– embrayés sur le réel, en attente, dans un imperceptible tremblement.


Ni comme des sculptures, ni comme des maquettes d'architectures; non pas peinture all over ou stabiles à la Calder et pourtant ils le sont, par emprunts métaphoriques. Ces artefacts artistiques ambigus dépassent les catégories du système des beaux-arts pour s'accomplir en une performance visuelle exigeante in situ.


Notre artiste nous fait effectuer par une suspension de nos consciences rationnelles un saut périlleux inimaginable dans la représentation sensible de ces espaces. Seuls des esprits peuvent les fréquenter. Pour saisir ces réalités absolues il faut s’absoudre, se détacher du miroir sensible où ces formes se réfléchissent dans nos réalités. Dans ce sens, il faut activer un organe de vision qui fait partie de l’activité absolue de l’âme, notre Imaginatio vera. Il faut connaître ces choses « sous les traits de leur image méditée, préméditée par l’âme, c’est à dire leur Forme imaginale.».  Chose mentale disait Léonard De Vinci en parlant de l’Art.


Cette poésie des mouvements et des multiples révolutions qui nous affectent (celles des planètes dans leurs formes préméditées et présentées dans cette chapelle) interpelle nos modes de conscience dans un état de nature primordiale et d'ouverture à l'être de la terre. L'être des mondes qui passe par des processus et des jeux de symboles, coïncide avec « la propre image de soi-même que l’âme porte en son fond intime. ». Cette âme projette sa silhouette, son image et son ombre par jeux de métaphores, chemine à travers les miroirs ici manifestés mais n’est que l’effet d’une perfection active et universelle de l’Âme du monde.


Jean-Claude Thévenin


1 Henry Corbin dans « Corps spirituel et terre céleste » De l'Iran Mazdéen à l'Iran chi’ite. Buchet / Chastel Paris 1979  page 104.

2 ibid. page 104.



















 







Exposition du 16 septembre au 9 octobre 2011. Chapelle Saint-Julien, rue de l’esplanade Saint-Julien - 76140 Petit Quevilly. Tél.: +33 (0)2 35 63 75 73. Ouverture du vendredi au dimanche de 14h à 19h.


Erwan Le Bourdonnec, U-TOPOS ou les topographies célestes

  Erwan Le Bourdonnec, Le texte de Jean-Claude Thévenin   
  Chapelle St Julien, Le Petit Quevilly - 16.09 - 09.10.2011