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L’art qui dialogue avec l’environnement

Texte de Pierre Gicquel

Et si l'ennemi n'était pas nous-même, en quête de connaissance, assoiffé d'une curiosité animale, entraîné vers une époque qui nous trouble, nous inquiète, déporte notre raison ? L'ennemi qui tard venu s'invente des armes comme celles du rêve, de la fantaisie contre le cri, l'inexactitude, la démobilisation de nos cellules. L'ennemi, impatient. Cette impatience, Micha Laury n'a eu de cesse de la vivre, la mettre en scène, l'exalter. L'impatience répond au temps, à son inéluctable écoulement, il semble ici qu'elle prenne appui sur une forme de révolte, qu'elle construise des volte-face vigoureuses contre la chronologie, qu'elle détruise toute linéarité.

Ce qui est obscur porte son contraire. Dès l'origine. A la naissance de la vie, une tueuse déjà s'affaire. La passion abrite un agent double : la peur. Du plus petit dessin aux installations ambitieuses nous sommes confrontés à des périls. La diversité des médiums utilisés; et rassemblés, ne doit pas nous faire oublier l'urgence d'une voix, unique et déformée, multiple et solitaire, cauchemardesque et insouciante. Dans peu d'oeuvres, il m'a été donné de percevoir une telle capacité de déplacements, de glissements, d'oscillations. De sauvagerie et d'élégance.

Dès l'origine, la main titube. Le corps cherche une échappée. Que l'oeuvre trouve ses premières agitations dans le contexte d'un atelier situé dans un bunker d'Israël, qu'elle se développe loin des écoles, comme mue par une nécessité, n'est pas sans conséquence : elle apprend très tôt à s'acclimater, à résister, mais aussi se perfectionne dans l'agilité, le soubresaut, l'imparable désir de vivre. Une exposition de Micha Laury dit tout cela, d'emblée, sans gant.

De l'importance accordée aux dates, l'artiste n'en a cure. Le premier geste rejoint le dernier. Ainsi infatigablement sont mises en relation des oeuvres qui jalonnent le parcours, sans hiérarchie. Le dessin côtoie la photographie ou la vidéo, la sculpture l'installation, le texte le dessin à nouveau. Il y a de la jubilation à glisser ainsi d'une manière à l'autre, d'un territoire à l'autre, à enjamber les catégories, à ne pas se satisfaire d'un corps fini, à prolonger le réel en le plaçant à distance.

De ces additions prend forme un rêve ou un cauchemar. Car on ne sent jamais à l'abri d'un séisme, d'une perte, d'une amputation des sens. Ce qui disparaît se prolonge dans ce qui apparaît, il y a là une pensée qui réfute cette conception que nous avons d'un temps linéaire, la fiction ironise le réel, le creuse, l'objective ou l'éloigne ; s'entrecroisent des signes, le corps du spectateur bute sur un son, les sens sont littéralement mis à mal, le présent et le passé côtoient le futur.

L'exposition nantaise se présente comme une suite d'événements paradoxaux. Comme il en existe à l'intérieur et à l'extérieur des mondes que nous connaissons ou non. Le mouvement en constitue la mélodie. Car, en effet, l'idée d'une partition prévaut dans ces propositions improbables, ces jeux où la mémoire d'un fait violent capte la vision d'un lointain futur.

Micha Laury avoue être intéressé par des connaissances issues des savoirs scientifiques. S'inspirant donc d'informations issues du réel, il fait également appel à tout un corpus d'images surgies des spéculations d'experts. Le scientifique qui a découvert Lucie, la première femme de l'humanité, aura ainsi été sollicité avec d'autres pour dresser le portrait de l'homme dans trois millions d'années.

Surgi des dernières recherches sur la question, l'homme du futur apparaît petit. Dans l'espace dilaté de l'exposition, il prend une place tout à fait particulière puisqu'il lui échoit d'être une sorte de gardien de l'exposition, gardien multiplié, cloné, planté sur des socles en proie à un mouvement circulaire. Figures de la médiation, entre le présent et le futur, ils se laissent à leur tour désirer, le chocolat dont ils sont pétris diffusant une odeur prometteuse, suffocante ou attirante. Ils sont également l'écho attendri d'un lécheur inquiétant présent dans les moniteurs d'une installation au titre menaçant : Hole in the soul.

Comment donner corps à ce qui fuit projette l'artiste vers des lieux dans lequel il mesure sa légitimité. Micha Laury au contraire cherche assurément d'autres pierres d'achoppement. AvecBurning titles, une vidéo de 32 heures, il réécrit les titres de ses pièces avec des allumettes. Lentement les lettres forment du sens. Un seul geste, gratter, suffit pour le voir disparaître. Performance ultime, mais aussi griffonnage aérien. Assombrissement total par la lumière. Geste désespéré ? Corrosif ? La danse de feu rejoint l'impatience d'une respiration.

Pierre Giquel, mai 2009












Exposition du 5 juin au 29 août 2009. Le Ring, artothèque de Nantes, 24 quai de la Fosse - 44000 Nantes. Tél.: +33 (0)2 40 73 12 78. Ouverture du mardi au vendredi de 13h à 18h et le samedi de 14h à 18h. L'exposition nantaise de Micha Laury est réalisée à l'occasion d'Estuaire 2009.

Un autre exemple de sculpture-installation peu rassurante en termes d'allusion est fourni par le projet Méduses. Egalement corrélé aux notions de nature et de biologie, ce projet prend la forme d'un hommage plastique rendu à la méduse, cet animal presque aussi vieux que le règne animal lui-même, "un des premiers maillons (après les algues) dans la chaîne du développement des vivants pluricellulaires", comme le souligne l'artiste. [...] Le choix par Micha Laury de la méduse, on le devine, dépasse la stricte attirance esthétique pour un animal à la matière élégamment plastique du fait de son physique antiforme (transparence, composition molle, corps flottant...). On rappellera pour l'occasion, outre la capacité des méduses à résister aux variations des écosystèmes, leur système de reproduction particulier, dont un des cycles relève du clonage. Un animal, du coup, dont l'emport symbolique se révèle particulièrement prégnant, tout à fait d'actualité au regard de grands sujets actuels de préoccupation tels que l'évolution, la survie des espèces ou la reproduction mimétique, bousculées aujourd'hui comme jamais encore par le pouvoir biocratique.

Extrait de Burning titles selected index 1967 - 2001



Micha Laury, Jellyfish installation, 2000 - 2005

Micha Laury, Jellyfish installation, 2000 - 2005

Ci-contre : Micha Laury, 6 hands, 1997 - 2006
Ci-dessous à gauche : Micha Laury, Hole in the soul, 1995-1997 (extrait vidéo)
Ci-dessous à droite : Micha Laury, Future human, 3 millions years

Ces humains en chocolat sont placés dans l'exposition à divers endroits comme éléments présents/futurs, figures qui présentent les autres oeuvres, en référence au temps multiplié, éclaté que nous présentent les dessins, les photographies et Hole in the soul. Un rapprochement avec la figure androgyne de la vidéo de Hole in the soul.

  Micha Laury, Le temps présent et des millions d'années

  Le Ring, artothèque de Nantes
  05.06 - 29.08.2009

Micha Laury, Le temps présent et des millions d'années, Le Ring, artothèque de Nantes

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