Archives expositions personnelles France
Archives expositions personnelles (N-O)
Désormais, cinq espaces de l'abbaye de Maubuisson sont dévolus au parcours artistique: la salle du parloir, le passage aux champs, ancien lieu d'accueil, la salle des religieuses, l'antichambre et les anciennes latrines. La grande salle du chapitre, la plus éclairée de l'abbaye, qui accueillit auparavant de grandes installations de certains artistes, est devenu le lieu d'accueil/boutique du site qui paraît nourrir de nouveaux projets. La notion d'installation paraît bannie des lieux, bien loin des bouleversements sensoriels de Vincent Lamouroux (Néguentropies, 2013) et des constructions aventurières des Frères Chapuisat pour le “Buisson Maudit” (2013), de la présentation des terres inventoriées en bocal de Kôichi Kurita (2014) ou du théâtral banquet blanc de Ken + Julia Yonetani (2015), sans compter bien d'autres. Les espaces désormais dévolus aux artistes invités – est-ce un choix dicté par la nature du lieu? ne diffusent qu'une lumière parcimonieuse, même durant les belles journées. A eux de jouer avec...
Les oeuvres déposées ou construites par Patrick Neu dans l’ancienne abbaye cistercienne de Maubuisson y trouvent un véritable écho, d'où le titre non emphatique mais très approprié de son exposition. Elles transfèrent à l'abbaye de Maubuisson une lecture contemporaine de notre culture artistique classique avec des matériaux simples, quoique difficiles à manipuler, comme la suie, la cire, le cristal, les ailes d’abeilles mortes… L’artiste a conçu en résonance à ce lieu et à son histoire de nouvelles pièces (voile de cheveux; corpus de vitrines couvertes de dessins sur suie autour de la thématique des sept péchés capitaux; sculpture réduite de la salle du Chapitre investie par de véritables abeilles).
Pour Patrick Neu, le challenge n'existe pas dans la dimension de l'espace, mais dans celle du temps. Celui de pouvoir présenter dans le court délai d'un an de nouvelles pièces en conjonction avec le lieu où elles seront dévoilées. Cet artiste s'enrichit de la méditation, a contrario de la médiation exponentielle courante en nos temps. C’est en Moselle, dans sa campagne vallonnée des Vosges du Nord, qu’il pense et élabore ses oeuvres. Sa démarche artistique concentre la densité d'une facture qui inscrit son travail dans le temps et le respect du cycle des saisons, à l’écoute de la nature, un choix bien éloigné de nos conditions urbaines de réactivité immédiate et promotionnelle.
L’extrême concentration et la minutie qu’impliquent ses oeuvres caractérisent l’ensemble du travail de Patrick Neu. Son choix a plus à voir avec l'érudition et les cultures du monde qu'avec le champ strict de l'histoire de l'art occidentale. Elles constituent son vocabulaire formel et spirituel, qu'il utilise selon les contextes et projets. La philosophie de l'artiste oppose la fragilité des matériaux à la force que représentent les objets, en transgressant leurs codes. Il interroge sans cesse l’impermanence et la fragilité de la vie de l'homme et de la nature.
Parcours de l’exposition
Dans la salle du parloir, quatre pièces de l'artiste sont installées sur socle, la plus importante à proximité du sol. L'être humain y subit différentes mues. Un petit crâne de cristal noir, qui peut être considéré comme un homologue de la voûte céleste, est présenté à hauteur humaine. Le crâne est le sommet du squelette et représente dans nombre de croyances ce qu'il y a d'impérissable dans le corps, l'âme, dont on peut s'approprier l'énergie vitale. Il est ici enfermé dans son obscurité et présenté à l’envers. L'oeuvre a été exécutée selon la technique de la cire perdue.
Avec une brillance équivalente, cette pièce contraste néanmoins dans son opacité et sa petite taille avec l'armure de cristal transparente à taille humaine déployée sur le sol. L’armure gisante dans la salle du parloir de l’abbaye a été réalisée aux Cristalleries de Saint-Louis avec l’aide de maîtres verriers, sous la direction de l’artiste. Si ce matériau fascine Patrick Neu, c’est entre autres pour ses particularités : “c’est à la fois la pureté, la fragilité, mais aussi le danger, puisque c’est un matériau très coupant. J’aime cette contradiction”. Cette armure, équipement défensif de la toute fin du Moyen Âge, qu’on appelait également harnois, est ici reprise à échelle 1 par l’artiste. Patrick Neu joue sur cette dualité entre l’armure, symbole de l’imaginaire militaire, de l’esprit chevaleresque, et la vulnérabilité apparente du matériau qui la constitue. L’armure est censée protéger alors même qu’elle est faite dans un matériau fragile et potentiellement dangereux pour celui qui la porte (tranchant du cristal et présence de plomb dans sa composition). Sans doute est-ce pour cela que l’artiste la présente dans une attitude figée et de long sommeil.
Patrick Neu travaille depuis de nombreuses années en tant que responsable de création aux Cristalleries de Saint-Louis-lès-Bitche, situées depuis 1586 dans les Vosges du Nord, qui incarnent l’excellence française en la matière. Le cristal, sonore et lumineux, né d’une boule de feu et du souffle des hommes, est un matériau noble qui nécessite technicité, patience et abnégation tant son travail est long et complexe et son résultat soumis à des paramètres aléatoires. Patrick Neu travaille souvent avec ce matériau qu’il connaît bien.
L'abeille est très présente dans l'exposition de Patrick Neu, déjà dans la salle du parloir. Si ces insectes assurent la pérennité de leur espèce, prises individuellement en tant qu'animatrices de l'univers entre terre et ciel, les abeilles en viennent à symboliser le principe vital, à matérialiser l'âme. Toujours dans la salle du parloir, deux mains de cire se croisent, pénétrées d'éclats de verre transperçant leurs doigts. Douleur et protection s'y rejoignent, la main étant à double sens dans la tradition biblique et chrétienne symbole de l'humilité, de la puissance et de la suprématie.
Un étrange vêtement est suspendu à proximité: une ultra légère camisole de force constituée uniquement d’ailes d’abeilles mortes, récupérées durant plusieurs années auprès d’apiculteurs dont certaines des ruches ont été décimées. Ces ailes ont été soigneusement détachées, une à une par l’artiste puis collées les unes aux autres, à l’aide d’un vernis à ongles. Ces ailes translucides offrent un jeu subtil de teintes irisées, de couleurs variées et de scintillements. La force n’est plus physique mais technique et poétique : une force symbolique. Tout le paradoxe de cette camisole de force réside entre sa réelle fragilité et l’idée de résistance qu’elle sous-tend dans cette dualité qui motive l’artiste. Cet instrument de contention chamarré - habituellement utilisé dans les hôpitaux psychiatriques, soi-disant en tant que protection des patients -, ne pourrait aucunement remplir ses fonctions s’il était porté. Les myriades d'ailes d’abeilles qui le composent symbolisent la résistance de ces insectes qui sont de véritables guerrières tant dans leur quotidien que dans leur lutte contre la disparition qui menace leur espèce. Le parallèle entre abeilles et religieuses apparaît dans leur organisation quotidienne et communautaire et dans leur sens du dévouement et du devoir.
Suspendu sous la voûte en arc brisé du passage aux champs, un voile de cheveux tissés long de 60 cm sur 5 mètres est suspendu dans l'espace. Patrick Neu a pensé cette oeuvre spécifiquement pour l’abbaye de Maubuisson, en écho aux moniales qui après des mois de noviciat prononçaient leur voeu et « prenaient le voile ». Dans la tradition chrétienne monastique, prendre le voile signifie se séparer du monde, mais aussi séparer le monde de l'intimité dans laquelle on entre dans une vie avec Dieu. Cîteaux réglementa l’habit des moniales en 1237, interdisant les artifices de la séduction. Sous le voile, les cheveux étaient tondus au rasoir ou coupés ras aux ciseaux. En entrant dans les ordres, les moniales renonçaient à leurs corps et à leurs attributs féminins pour se couvrir d’un vêtement fonctionnel et commun à toutes.
L’emploi des cheveux par l’artiste, matériel fragile, évanescent et très difficile à travailler sous la forme du tissage, est un hommage rendu aux religieuses de cette ancienne abbaye qui tissaient et travaillaient quotidiennement à leur ouvrage. Comme elles, patiemment, l’artiste a tissé des dizaines et des dizaines de carrés de vrais cheveux de 20 cm de côté, assemblés de fil rouge par un subtil jeu de couture, formant un délicat voilage teinté de nuances. Le voile – habituellement couvrant – est ici quasi transparent par la finesse des cheveux. L’objet perd sa fonction et le geste de l’artiste sublime le matériau.Ce voile tissé est fait de véritables cheveux qui proviennent pour la plupart de femmes, d’amies de l’artiste ou d’anonymes, vivant ici ou là de par le monde. Ce mélange aléatoire de chevelures, ces chemins de vies entremêlés, sont un hommage silencieux rendu à ces lointaines inconnues en écho à ces femmes qui vécurent jadis à l’abbaye et s’engagèrent pour le sauvetage des âmes pénitentes. Ces liens aléatoires rendent cette oeuvre émouvante et construisent une géographie de la mémoire et de l’imaginaire intime.
Depuis 1996, Patrick Neu utilise le noir de fumée pour reproduire des oeuvres de Jérôme Bosch, d’Holbein, de Dürer ou de Rubens qui sont ensuite enfermées, hors d’atteinte. Dans la salle des religieuses, l'artiste expose des meubles-vitrines où apparaissent à travers les parois vitrées des évocations de scènes bibliques ou historiques tirées de tableaux de ces grands maîtres anciens. L’artiste passe au noir de fumée l’intérieur des vitrines sur lesquelles il vient, à l’aide de pinceaux très fins, de pointes ou encore de bouts de carton, enlever la matière et dessiner ses reproductions d’images. Le dessin est guidé par les qualités propres de la matière. Le moindre repentir est impossible. La petite échelle du dessin rend le résultat saisissant. De nouveau, Patrick Neu détourne l’utilité première de l’objet : ici, le visiteur observe les parois graphiques et ses apparitions tracées dans la suie. Cette série sous verre a été initiée par Patrick Neu en 1996. Les représentations qui ont été minutieusement dessinées sur la fine couche de suie qui recouvre l’intérieur de ces vitrines font référence aux sept péchés capitaux (luxure, envie, orgueil, etc.) et aux peintures majeures de l’histoire de l’art.
Les abeilles vivantes ont fait l'objet d'une autre expérience de l'artiste à Maubuisson. À l'image de celles-ci et de leur reine, la vie des moniales s’organisait autour d’une abbesse qui prenait les décisions et faisait régner l’ordre. Pour son exposition, Patrick Neu a expérimenté un nouveau procédé avec lequel il a réalisé une réplique d’une des salles de l’abbaye. Une modélisation 3D de la salle voûtée du Chapitre lui a permis de dupliquer l’architecture de cette salle en bois de tilleul à l’échelle 1/10. En juin dernier, deux essaims d’abeilles mellifères ont été déposés à l’intérieur de cette réplique par un apiculteur des Vosges du Nord, complice de Patrick Neu. Les abeilles et leur reine se sont saisies de cet espace comme elles le font habituellement au sein des rayons de la ruche. Cette structure s’est alors remplie d’alvéoles en cire, couvertes de propolis. Une fois la saison achevée avec ses aléas saisonniers, vidé de ses habitantes et des couvins déplacés dans d'autres ruches, cet habitat hybride, tapissé de miel et de cire ocre, a constitué une nouvelle oeuvre “vivante” de Patrick Neu. Cette splendide évocation de la salle du Chapitre incrustée d’alvéoles de cire et de miel questionne la matérialité de cette représentation et sa pérennité. Cette pièce magnifique devrait, budget aidant, être conservée par l'abbaye de Maubuisson en tant que pièce d'archive du monument. Mais cela paraît impossible...
Patrick Neu (né en 1963) vit et travaille dans le département de la Moselle. Il se définit comme un “artiste auteur fabricateur d'objets”. Formé à l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg, il a été pensionnaire de la Villa Médicis à Rome en 1995 et de la Villa Kujoyama à Kyoto en 1999. Pénétrée de modestie, dénuée de grandiloquence, privilégiant la simplicité des matériaux, la répétition des gestes et la délicatesse des formes, l’oeuvre de Patrick Neu est le prolongement de sa vie. Et peut-être une philosophie à méditer...
Communiqué de presse
L’abbaye de Maubuisson invite l’artiste français Patrick Neu dans ses espaces durant les six prochains mois. Cet artiste discret expose rarement, peu enclin à la médiation et aux fluctuations du marché de l'art. Son oeuvre se construit patiemment dans le long temps, et il a, certainement par exception, accepté une proposition resserrant le temps habituel de la conception et de la manufacture de ses oeuvres à la durée d'un an de préparation. Ce “temps court” à l'échelle de cet artiste a néanmoins donné lieu à de nouvelles propositions de sa part, toutes en “écho” au lieu qu'il est venu “visiter”.
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Gilles Aillaud
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jul 1 à 2h10 PM
Gilles Aillaud, Le silence sans heurt du présent
En coproduction avec les Musées des beaux-arts de Rennes et de Saint-Rémy de Provence, cette rétrospective parrainée par la Fondation d’Entreprise Michelin est la première grande exposition consacrée à l’artiste depuis 10 ans. Une cinquantaine de tableaux provenant de grandes collections publiques et privées seront exposés au FRAC Auvergne.
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Exposition du 10 décembre 2016 au 05 mars 2017.
Fondation Maeght, 623 chemin des Gardettes – 06570 Saint-Paul de Vence. Tél. : +33 (0)4 93 32 81 63. Ouverture tous les jours de 10h à 18h.
Exposition du 10 décembre 2016 au 30 mars 2017.
Espace de l’Art Concret, château de Mouans – 06370 Mouans-Sartoux. Tél. : +33 (0)4 93 75 71 50. Ouverture du mercredi au dimanche de 13h à 18h.
À l’Espace de l’Art Concret, mettant en jeu le concept d’art total dans C’est à vous de voir..., , Pascal Pineau investit les espaces du Château pour en retrouver la fonction originelle, interrogeant la valeur d’usage des œuvres. Expérimentant les limites du décoratif et de l’ornemental, il ouvre un dialogue entre pièces issues de l’artisanat, du design, objets de brocante et œuvres d’art ‘proprement dites’. Ainsi, les salles d’exposition se transforment en une succession d’espaces domestiques fictifs. Cuisine, bureau, salon, chambre d’enfant, suite parentale… chaque pièce peut se percevoir comme un portrait en creux de l’artiste qui pose un regard introspectif sur une trentaine d’années de pratique artistique.
Sur l’invitation de Pascal Pinaud, Alexandre Curtet, fondateur de Loft interior designers, a été sollicité pour concevoir l’aménagement intérieur de ces espaces en dialogue avec ses œuvres, mais aussi celles d’artistes avec lesquels ce dernier partage des affinités esthétiques, comme Noël Dolla, Mathieu Mercier, Natacha Lesueur, Philippe Ramette…
Exposition du 7 octobre 2018 au 17 mars 2019. Abbaye de Maubuisson site d’art contemporain du Conseil départemental du Val d’Oise, avenue Richard de Tour - 95310 Saint-Ouen l’Aumône. Tél. : +33 (0)1 34 64 36 10. Ouverture en semaine sauf le mardi de 13h à 18h. Samedis, dimanches et jours fériés de 14h à 18h.
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